Il est difficile pour l'équipe si soudée de Grains de Folie de dire adieu à ce festival et ils décident de se rassembler une dernière fois en 1995 pour souffler la première bougie du Fourneau.
Les artistes se rassemblent donc une dernière fois autour d'un chantier collectif, qui prend encore le nom de « Grains de Folie ». Cette fête se déroule sur plusieurs endroits du port : A la fois au Fourneau, sur une vedette de la Penn-Ar-Bed et au Parc à Chaînes.
Celle ci se déroule en 2 temps : à 4h32, dans un demi-sommeil, le spectateur pénètre dans la fête, entre rêve et réalité. Puis, à 9h30, comme si tout cela n'avait été qu'un rêve, le spectateur retourne au lit terminer sa nuit. Il a de nouveau rendez-vous à 19h12 sur le port de commerce pour reprendre la fête jusqu'à minuit.
La programmation est elle-aussi limitée, quatre grandes compagnies passant le matin tandis que le soir est animé par 2 groupes musicaux, accompagnés de toutes les compagnies du matin.
Le rendez-vous est donné devant la maison de la Main-d'Oeuvre, symbole de l'activité ouvrière le 11 novembre à 4h32.
L'Enez Eussa, la navette assurant la liaison entre Brest et les îles de Molène et Ouessant devient l'usine des Délices Dada qui rebaptisent le bateau le Copacabanac. Il fera voyager les spectateurs le temps de la fête sur toutes les mers du monde.
Generik Vapeur s'approprie le parc à chaînes dans un décor de train de marchandises, dans un univers étrange, inquiétant, parfois sordide.
Au Fourneau se tient un congrès de l'ONU animé par la compagnie Off : dans un décor de carte du monde, un « bonhomme-planète » représentant de l'ONU tente de traiter de la question de l'Ex-Yougoslavie. Les spectateurs sont devenus des soldats et portent un casque bleu.
Le débat sur la guerre et la paix est troublé par une femme nue et quelques soldats entamant des chants de guerre sur des airs de fête, en dansant sur Only You. Avant de se quitter les spectateurs déjeunent ensemble.
A 19h12, les convives sont de nouveau rappelés sur le port de commerce pour un apéritif, au 21 rue Madagascar, chez Malou, un bar de quartier. L'ambiance est à la bonne franquette et les casques bleus sont là pour entonner quelques chants et mettre de l'ambiance.
A 21h, ils sont happés par la « vague du soir » et retrouvent au Fourneau le conteur Yannick Jaulin pour de nouvelles histoires de Pougne-Hérisson, suivi des Bagadoù du Tonnerre et du groupe Flamenco Bodega.
Les trois dernières éditions, à travers leur singularité, ont montré l'envie des organisateurs de passer à une nouvelle forme d'engagement.
Cependant, ce dernier moment collectif reste comme un aboutissement réussi de toutes ces années de laboratoire, dont les acteurs gardent un souvenir ému.
[...] Tout d'un coup on a pris conscience qu'on était en train de perdre cet outil parce que financièrement ce n'était plus viable. Et nous, comme c'était un des rares endroits ou c'était possible de faire des créations et d'essayer, je crois que c'était la dernière année qui était la plus réussie au niveau du sens, du timing de l'horloge de la journée, avec le public qui était pris en charge à la criée, la maison de la main-d'oeuvre. C'était très bien et puis on avait une contrainte, toutes les 20 minutes il fallait tourner.
Pierre Berthelot, compagnie Generik Vapeur
[...] Ce qu'on a fait là-bas était inouï, unique au monde. Il y avait quand même plus de mille cinq cents à 2000 personnes dans l'espace qui traversaient des immenses entresorts où chaque compagnie avait écrit un spectacle de 25 minutes sur une sonnerie d'usine qui retentissait dans tout le quartier.
[...] Il y avait une espèce de mise en harmonie et au diapason de toutes les équipes de manière assez inouïe. C'est pour ça que ça reste dans la tête de Pierre, que ça reste dans la mienne et je pense que ça reste dans la tête de Délices Dada qui partait avec son bateau...
Jean-Raymond Jacob, compagnie Oposito
Ces moments de préparation intensive, répartis sur plusieurs semaines ont permis aux compagnies de se connaître, de réaliser qu'ils partageaient les mêmes principes et les mêmes visions d'un mouvement, tout en l'exprimant différemment.
Grains de Folie a fait la démonstration que les arts de la rue peuvent s'unir autour d'un projet commun de création et produire des spectacles de qualité grâce à la synergie des échanges.
Les textes de ce site sont extraits du mémoire de Mélanie Tanneau,
"Grains de Folie, Genèse du Fourneau et des Arts de la Rue dans la région brestoise" -
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