Un jour férié est une date inscrite au calendrier rassemblant un groupe de personnes afin de fêter ou commémorer un évènement important de leur histoire collective. Les jours fériés rompent avec la routine, offrant par exemple en pleine semaine un moment de répit, un temps pour soi, pour faire ce que l’on ne fait pas d’ordinaire. Moment à part, le jour férié est pourtant régi par des normes intrinsèques, une sorte de quotidien à l’intérieur d’une journée singulière : repas de famille, messe, défilés...
L’ambition des Grains de Folie dès sa création est de s’imposer en jour férié, « dérobé au calendrier ». Le souhait des organisateurs est de voir une fois dans l’année, un jour consacré à la folie, à l’imaginaire et au rêve par le biais des arts de la rue, rassemblant toute une population autour de cette fête collective : un jour férié moderne qui au fil des ans suivra ses propres rituels.
Afin de donner au festival une allure de jour férié, les Grains de Folie se sont organisés autour d’un mythe moderne, conçu par la compagnie Oposito et inspiré de diverses sources de la mémoire collective.
La mémoire collective dans le mouvement des arts de la rue est bien souvent source d’inspiration pour les artistes, qui voit en elle une manière de réunir différents public autour d’éléments connus de tous, s’affirmant ainsi en genre populaire, compréhensible par tous. A travers leurs créations les artistes détournent cette mémoire collective afin de réécrire les histoires des lieux investis.
Sur le festival Grains de Folie, la mémoire collective dépasse son rôle habituel. Source d’inspiration pour l’écriture de la trame narrative, elle est prétexte au détournement d’un lieu. Le mythe bâti à partir de cette mémoire collective alimente le concept du jour férié. Il sera matière à des créations uniques, élaborées par les compagnies réunies autour d’un projet artistique commun.
Inspirés de la mémoire collective et toujours dans l’esprit du détournement, les Grains de Folie s’organisent autour d’une légende moderne, commémorée une fois par an. Cette légende célèbre la rencontre du Jour et de la Nuit, personnifiés en Dame Nuit et Solenis fils du soleil qui, défiant les lois du temps, passeront ensemble une journée à s’amuser et donneront, dès l’aube le coup, d’envoi des festivités.
Une fois dans l’année, la Dame Blanche, personnage de l’imaginaire collectif qui hante les routes de France et paraît-il le Pont de Plougastel, fait irruption à l’orée du jour afin de perturber la relève du Jour et de la Nuit orchestrée par Chronos, gardien du temps. Glissant un grain de folie dans l’horloge universelle de Chronos, elle permet le dérèglement temporel et la réunion des deux astres pour une journée unique où tout est permis. Elle-même s’autorise à apparaître au grand jour et à participer à cette grande célébration.
Les Grains de Folie mettent en scène ces personnages légendaires et proposent ainsi une image de ces personnages au public. La représentation d’un mythe autour d’une célébration peut faire penser aux drames liturgiques, qui au moyen-âge, donnaient lieu à des représentations de scènes religieuses marquantes réalisées au cours des fêtes religieuses en commémoration d’un évènement tel que la naissance du Christ ou la Résurrection.
Ces représentations sont toujours perpétuées et ces moments importants de la religion donnent lieu à un jour férié permettant de rassembler la population des croyants autour d’une grande messe. Ainsi Grains de Folie s’impose comme une grande fête païenne. L’utilisation de la mémoire collective a permis la création d’un mythe moderne, voire religieux. Cette mémoire détournée légitime les Grains de Folie à s’imposer en tant que jour férié à inscrire dans le calendrier. Cela confère aux Grains de Folie une dimension plus grande qu’un simple festival : c’est un rassemblement populaire autour d’une véritable célébration qui, en suivant le modèle religieux, revendique un jour férié en l’honneur de la folie et des arts de la rue.
Chaque année, la légende s’inscrit dans un nouveau lieu. Elle s’adapte et absorbe l’histoire du lieu, l’enrichissant ainsi d’un nouveau mythe. Cet espace hors norme évolue sous « un temps qui cherche l’impertinence sous une autre lumière » un temps libéré des normes qui semble ne pas avoir de règles.
La prospection des lieux est un élément essentiel dans la démarche de création des arts de la rue. Les espaces investis forment le décor, ils mettent à disposition une « scène à 360° ». La création art de la rue implique un décor toujours différent. Les spectacles doivent s’adapter au lieu, produire l’effet escompté bien que le décor soit évolutif. Le traitement de l’espace dans Grains de Folie est très particulier et le choix du lieu est d’autant plus important. Les lieux investis par Grains de Folie doivent s’inscrire dans la trame narrative. Pour cela, chaque année, les espaces choisis subissent un gigantesque détournement plastique. Dans un temps éphémère, le lieu est transfiguré et porte les traces d’un mythe moderne. Cet « univers dont le séjour a l’allure d’un mirage ou bien d’un mythe » enrichit ainsi l’histoire du lieu par une nouvelle légende. Ces espaces transfigurés chaque année participent naturellement à faire voyager le spectateur dans un monde hors du commun.
Pour basculer le spectateur dans un autre univers, le site subit une grande opération de déguisement qui doit provoquer chez le spectateur une perte de repères spatiaux. Sur chaque édition, la transformation plastique des lieux est confiée au talentueux plasticien d’Oposito, Enrique Jiménez. La confection des décors est ensuite dévolue aux bénévoles et c’est un véritable challenge pour ces derniers qui sont amenés à se dépasser techniquement afin de réaliser les projets des artistes qui leurs semblent parfois inconcevables.
Pour parvenir à transformer les espaces, des mois de réflexion et de préparation sont requis. Trois mois de chantier seront consumés en vingt-quatre heures dans le seul but de briser les chaînes du quotidien, d’offrir un voyage dans un autre univers, une autre réalité. Tout ceci ne sera qu’un « mirage » et c’est là tout l’attrait d’une telle entreprise.
Qu’est ce qu’un grain de folie sinon une rupture dans la vie de tous les jours ? Un grain de folie ce pourrait bien être une heure de plus dans une journée, ou bien encore des « heures qui comptent double » et pourquoi pas alors une journée de fête où l’on se lèverait à 4h00 du matin pour se coucher à minuit ou 5h le lendemain. Mettre un grain de folie dans sa vie c’est sortir un instant de sa réalité et entrer dans une surréalité.
Pour que chacun profite entièrement de cette longue journée, celle-ci est organisée autour de temps forts et de temps calmes : La cérémonie d’ouverture, haute en couleur est écrite par la compagnie Oposito ou Generik Vapeur. Elle se déroule dans un horaire compris entre 4h et 6h du matin selon les éditions, réunissant un grand nombre de compagnies autour d’un même spectacle.
Puis la matinée et l’après midi s’organisent au gré des fantaisies du spectateur, de ses déambulations dans la fête, de ses choix de programme, avec des moments plus ou moins intenses.
Ce long jour férié qui bouleverse le cadre temporel est régi par ses propres codes et rituels, tous destinés à faire perdre la notion de la réalité, à déconnecter du quotidien. D’ordres dramatiques ou festifs, on les retrouve sur l’ensemble des éditions.
Les textes de ce site sont extraits du mémoire de Mélanie Tanneau,
"Grains de Folie, Genèse du Fourneau et des Arts de la Rue dans la région brestoise" -
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