L’originalité des Grains de Folie reposait sur sa relation avec les artistes. A la différence des autres festivals, le festival Grains de Folie n’était pas seulement un lieu de représentation mais avant tout une occasion de créer ensemble une grande manifestation construite autour d’une trame élaborée dans laquelle venait s’insérer tout type de compagnie. Les Grains de Folie faisaient appel à la créativité de chacun, quelles que soient la taille ou la renommée des compagnies en présence.
Grains de Folie ce n’était pas seulement une fête de 20 h ou 24 h mais trois semaines de chantier, de rencontres, de débats et de création, une réunion des pionniers des arts de la rue au moment où il apparaissait comme nécessaire de se fédérer. Le site du Fort du Questel par exemple, se transformait pendant un mois en un véritable village de 200 personnes où artistes et bénévoles, sous le chapiteau servant de réfectoire, discutaient de leurs idéaux, leurs projets, faisaient sortir leur propre folie par les mots avant de la mettre en action.
Ces moments de préparation intensive répartis sur plusieurs semaines permettaient aux compagnies de se connaître, de réaliser qu’ils partageaient les mêmes principes et les mêmes visions d’un mouvement, tout en l’exprimant différemment. Pour les compagnies c’était un investissement considérable, bien plus que pour les autres festivals mais c’était également une aventure artistique sans pareil, un déploiement de forces qu’on ne retrouvait pas ailleurs.
Grains de Folie faisait la démonstration que les arts de la rue peuvent s’unir autour d’un projet commun de création et produire des spectacles de qualité grâce à la synergie des échanges.
Grâce à son concept axé sur la rencontre, l’échange et la création d’un projet commun, Grains de Folie a permis de franchir une étape dans la reconnaissance du mouvement.
Les artistes étaient donc les véritables maîtres du Festival et des créations et les organisateurs n’interféraient pas dans leur travail.
Pourtant le soutien de l’équipe organisatrice, placée au service des artistes fut déterminant. Les rôles se sont inversés pour l’organisation de Grains de Folie : alors que dans la fonction d’animation, les arts de la rue étaient au service d’une équipe de bénévoles pour faire vivre un évènement, cette fois, ce sont les bénévoles qui se sont mis au service des compagnies, pour faire vivre les arts de la rue et bien sûr pour leur intérêt commun : bousculer le quotidien.
C’est une véritable amitié qui est née entre l’équipe organisatrice et les artistes, touche essentielle à la réussite des Grains de Folie et l’une des raisons pour laquelle cette aventure reste dans la mémoire de tous.
Curieux choix de venir chaque année à la pointe du Finistère, de se produire sous un temps toujours incertain, de renoncer à ses factures quand l’équipe est dans une situation difficile. C’est parce que cette aventure s’est développée à travers des relations humaines, simples et amicales voire même familiales.
L’engagement des compagnies dans ce concept novateur des Grains de Folie et dans cette fraîche mouvance de structuration des arts de la rue a été très formateur pour les artistes : Pionniers de l’aventure des arts de la rue, il s’agissait bien pour ces artistes de mettre les compagnies au diapason pour faire reconnaître le mouvement et faire entendre le sens de l’évènement dans les municipalités d’accueil.
Si l’objectif premier des Grains de Folie était d’insuffler une bouffée d’oxygène au festival la Tête et les Mains et de bousculer les habitants et l’espace public par le biais des Arts de la rue, petit à petit, Grains de Folie est devenu pour les artistes un véritable outil, un lieu d’échange de savoirs, de créations et de réflexions collectives sur ce genre nouveau qui se structurait.
La date des Grains est devenue incontournable pour les artistes car elle était synonyme de « laboratoire de création », de chantier, tel qu’on a pu l’évoquer précédemment. C’était un lieu où il était permis de laisser libre cours à sa folie créatrice et d’essayer des choses, pour construire ce genre naissant.
Grains de Folie est le fruit d’expériences poétiques bien souvent explosives menées par des savants fous, tant dans leur imagination que dans leur mise en oeuvre. C’est finalement à chaque spectateur d’en garder le meilleur dans ses souvenirs et de créer dans sa tête son plus beau Grains de Folie.
Grains de Folie est devenu au fil des ans une sorte de plate forme de création unique en France : chaque compagnie, chaque artiste présentait en première sur le festival une création nouvelle qui pouvait être remarquée et donc exportée en d’autres lieux.
Grains de Folie était donc une sorte de tremplin, un billet d’entrée pour se produire dans d’autres festivals notamment pour les jeunes compagnies qui saisissaient l’occasion de se faire connaître.
L’expérience des Grains de Folie pour ces jeunes compagnies était donc très formatrice puisque c’était également l’occasion de se remettre en question par rapport à la qualité du spectacle, afin de se démarquer et de pouvoir se produire ensuite dans des festivals de plus grande envergure tels qu’Aurillac ou Chalon.
Les enjeux artistiques de la manifestation Grains de Folie furent donc très importants pour la reconnaissance des arts de la rue à une époque où le mouvement cherchait à se structurer. Grains de Folie c’était une Fête, mais c’était aussi et surtout, pour les artistes, une date annuelle de rencontre, de chantier, de recherche et d’expérience ainsi qu’un tremplin pour d’autres manifestations.
L’équipe organisatrice totalement dévouée aux artistes s’impliquera dans un rôle d’accompagnement qui dépassera très vite les rapports formels entre organisateurs et compagnies pour se muer en amitié solide et durable.
L’aventure des Grains de Folie, qui réunissait une grande partie des pionniers du genre participera à la naissance du Fourneau. Le témoignage de Jean Raymond Jacob illustre parfaitement le rôle éminent qu’a pu jouer cet évènement pour les artistes et la reconnaissance de leur Art :
Grains de Folie étaient atypiques parce que c'était un projet d’artiste avec des artistes et il est devenu un petit peu mythique parce qu'aujourd'hui on ne retrouve pas tellement ce genre de truc. C'est vrai que c'était des paris fous, des engagements très forts, où il y avait très peu d'argent pour faire des choses et il fallait d’autant être en ingéniosité et en invention, donc c’est resté aujourd'hui mythique et ça a contribué d'une manière à construire les arts de la rue, la preuve c'est une graine du Fourneau. Ce n'est plus à démontrer que le Fourneau aujourd'hui joue un rôle essentiel. Y sont passées les 35 compagnies essentielles du théâtre de rue aujourd’hui: Délice Dada, Generik Vapeur, les Off, Burattini, les Costards, Ilotopie, Oposito, Turbulence, il y en a des gens qui sont passés... [...] On a contribué à inventer à fabriquer ce métier, Grains de Folie est une des briques qui permet d'édifier ce métier.
Jean Raymond Jacob, Oposito
Derrière cet enthousiasme des artistes et des spectateurs, derrière la beauté des images de la fête et derrière cette formule Grains de Folie qui une fois par an proposait un basculement total dans un monde insolite, derrière cette journée si éphémère, ce voyage hors du quotidien, il y a également une immense organisation menée par des passionnés, une aventure humaine extraordinaire et de nombreuses batailles conduites pour le maintien du festival.
On ne peut conclure sur les Grains de Folie, sans un nécessaire retour sur l’aventure humaine des Grains à travers l’organisation de la fête et le quotidien d’une association militante des arts de la rue sur ses différents territoires d’accueil.
Les textes de ce site sont extraits du mémoire de Mélanie Tanneau,
"Grains de Folie, Genèse du Fourneau et des Arts de la Rue dans la région brestoise" -
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